L'anachronique d'Yvon
A Georges, Guillaume, Paul et les autres…
Merci à Claude Sautet de m’avoir inspiré cette dédicace.
Vincent, François, Paul et les autres, ce merveilleux film, est sorti en 1974. Tiens, l’année de la naissance du Sablier… Quarante ans déjà ! Mais si nous commencions par la fin…
Il y a un an, parmi des vœux plus conventionnels, René me souhaitait pour 2013 un retour à la compétition, il savait que le 30 juin, je serais retraité, du moins pour la partie scolaire de mes activités. A ce moment, il était bien le seul à croire à un tel retour. Moi, j’étais à cent lieues d’imaginer cela.
Au début du mois d’avril, il m’a téléphoné pour m’inviter à une soirée de retrouvailles et de relance du Sablier. J’ai dit oui par curiosité, par politesse et pour renvoyer un ascenseur qu’il m’envoyait régulièrement et qui m’avait permis de redécouvrir, juste un peu, le Scrabble du 21° siècle avec Internet, ses champions et son vocabulaire parfois abscons. Ce dernier mot se rapportant uniquement au nom le plus proche… De voir aussi que tout ou presque des premières années du Scrabble avait été archivé et que je pouvais retrouver des souvenirs enfouis, enfuis ou même oubliés.
Arrêtons-nous ici un instant pour mesurer la chance que nous avons de partager le même loisir et la même passion et de faire partie du même club que René. Hommage. Respect. Merci.
J’ai apprécié cette soirée d’avril, je l’ai dit à Jean-Marc en sortant, j’ai découvert que l’on pouvait jouer de l’ud, que l’om ne jouait pas seulement au foot, mais aussi au Scrabble et je me suis promis de revenir en juillet. Pour voir si cela me plairait de rejouer, seul cette fois. Car associé à Jean-François et Patrick Navette, j’avais été davantage spectateur qu’acteur lors de cette soirée. Entre-temps, j’ai terminé l’année scolaire et j’ai découvert « La vérité sur l’affaire Harry Québert ». Que vous soyez un lecteur compulsif ou que vous n’ayez plus lu un roman depuis le siècle dernier, courez acheter et lisez celui-ci, vous oublierez avec bonheur durant quelques heures les krus et les zaydites et vous ne penserez plus qu’à Nola.
A partir de juillet, tout s’est enchaîné, les amicales, Jette 7 (un cadeau), les tuyaux pour apprendre le b.a.-ba des nouveaux mots-clés du Scrabble, un reclassement en C (pas vraiment un cadeau) sans même avoir joué, quelques interclubs pour pallier une défection aux Hyades qui m’avaient gentiment accueilli et me voilà un an après les vœux de René, neuf mois après le premier contact à entamer cette chronique à laquelle j’ai pensé très tôt lorsque j’ai constaté que j’étais le dernier grain de sable encore actif à avoir vécu les premières heures du Sablier. Quelques mois de réflexion et je me suis dit que faire coïncider mes anachroniques avec l’année du quarantième anniversaire était peut-être une bonne idée.
L’objectif ne sera pas de vous raconter la troisième manche du championnat de Belgique de 1978 ou du championnat du monde 1979 (quoique… non, je vous rassure, d’autres l’ont fait et bien fait avant moi), mais plutôt de vous faire rencontrer quelques grains de sable des seventies et de revivre avec vous quelques anecdotes que même René ne connaît pas ! Enfin, j’espère…
Vous découvrirez ainsi au détour de ces anachroniques que le premier local du Sablier était un haut lieu du sport cycliste liégeois, belge et international et qu’on y joua même au football…
Que lorsque le Sablier a été champion de Belgique interclubs, il l’a certes été grâce aux qualités de ses joueurs, mais qu’il a aussi été aidé par un diagnostic établi… par téléphone par notre père à tous, le premier meilleur joueur, Champion de Belgique et président du club, le docteur Jean-Marie David.
Que nous avons fêté ce titre interclubs avec le meilleur arbitre belge de foot de l’époque.
Que Georges Lavigne (qui sera souvent présent dans ces anachroniques, mais comment pourrait-il en être autrement ?) a peut-être sauvé la vie de plusieurs Scrabbleurs belges en 1979.
Et d’autres petits faits aussi qui ont émaillé mes quelques trop courtes années de présence au Sablier.
1974 - 2014
Nous voici donc en septembre 1974, moment choisi par quelques Scrabbleurs passionnés de la région liégeoise d’emboîter le pas aux Bruxellois et à quelques Verviétois qui jouent sous la houlette ou peut-être la férule de Raymond Eustache, futur inspecteur redouté des instits de la cité lainière, pour (essayer de) lancer le Scrabble à Liège.
Avant d’aller plus loin, il serait peut-être intéressant que chacun se rappelle ce qu’il faisait en septembre 1974 et le raconte brièvement aux autres grains de sable. Un échange qui pourrait être amusant et qui n’a sans doute jamais été réalisé auparavant. Une façon d’animer notre Sabot… Pas encore né ? Encore au berceau ? Ecolier ? Etudiant ? Dans la vie active ? Replongez-vous dans vos souvenirs et faites-nous partager un peu de votre passé.
C’est dans un numéro du mensuel de la Junte Crossiste dont je faisais partie et qui réunissait les meilleurs cruciverbistes belges (dont je ne faisais pas partie) que j’ai eu l’attention attirée par un articulet annonçant la création d’un club de Scrabble à Liège et une première réunion. Comme je ne me débrouillais pas mal dans un des jeux de la revue qui était fondé sur le croisement de mots formés avec des lettres données et que je jouais parfois au Scrabble avec mon père, je me suis lancé dans une aventure dont je n’imaginais pas à ce moment qu’elle conditionnerait une partie de ma vie de loisirs et même de mes activités professionnelles. Qu’elle me ferait croiser Serge Gainsbourg, bavarder avec Stéphane Steeman, sympathiser avec Jacques Lippe, Jacques Capelovici (le maître Capelo des jeux télévisés) ou Henri Salvador. Sans parler des meilleurs Scrabbleurs des seventies, des eighties et du 21° siècle dont je ne citerai ici aucun nom de peur d’en oublier… Mais certains se reconnaîtront. Ou que cette aventure me permettrait de voir mes jeux de lettres publiés dans des quotidiens, revues ou magazines belges ou français depuis trois décennies.
J’avoue n’avoir conservé aucun souvenir particulier de la première réunion du Sablier, sinon le lieu où elle fut organisée, une salle du Vénitien, café-restaurant élégant situé au coin de la rue Hamal et du boulevard de la Sauvenière. Une grande banque a aujourd’hui pris sa place. Il y eut après la Bécasse derrière l’opéra, détail que j’avais oublié, mais que m’a rappelé il y a quelques semaines un autre membre fondateur Jean-Pierre Duchamps. C’est ensuite à quelques pas de là à la Taverne sportive (là, c’est le resto italien « Pane e vino » qui a succédé à notre premier lieu de réunion), Place Verte, que celui que nous allions très vite baptiser le Sablier a commencé à se réunir et à se développer. Guillaume Hendrick qui travaillait au journal La Meuse en tant que correcteur, je crois, est celui par qui le Sablier a pris ses racines dans ce quartier à quelques pas du Crosly et du Carrefour, des cinémas, pas des magasins, et du Trianon, un théâtre, pas un château. Guillaume avait ses habitudes avec des collègues dans ce café et nous y avons prolongé bien des parties sur des sous-bocks. Il était imbattable à ce jeu, nous en reparlerons… Ce travail au journal La Meuse, ce quartier du centre de Liège et cette époque des seventies sont très joliment dépeints sous la plume de Bernard Gheur dans le roman « Les étoiles de l’aube » et j’ai souvent repensé à mon ami Guillaume lorsque je l’ai lu il y a deux ans. Cette arrière-salle de café qui donnait sur la rue Basse Sauvenière par une porte et une fenêtre aveugles était remplie de trophées préfigurant peut-être ceux que remporteraient les grains de sable au fil des années. Elle était en effet le local du Pesant club liégeois, célèbre club cycliste qui organisait notamment la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège et elle avait abrité aussi un club de Subbuteo (football de table) que j’avais fréquenté durant quelques mois. A quelques mètres de nous, passaient les gazettes à l’encre à peine séchée de l’édition de nuit qui sortaient de l’imprimerie voisine. Pendant que nous essayions avec plus ou moins de bonheur d’aligner d’autres lettres, d’autres mots.
C’est autour d’une très grande table, dans un local désuet - avec aux murs des photos jaunies d’anciens champions cyclistes et dans des vitrines des coupes ternies par les années - enfumé (il est amusant de remarquer qu’une partie de ce local, qui a été scindé depuis et que je suis allé revoir, est devenu le… fumoir du restaurant) et chaleureux que Jean-Marie David et Etienne Hansenne nous ont appris les rudiments du Scrabble duplicate et ont aidé les autres membres historiques du club à progresser rapidement au fil des mois. Ce qui n’était pas difficile puisque nous étions de vrais débutants. Je me souviens d’un « néophyte » de Jean-Marie qui nous avait montré là que nous en étions chacun encore un, bien incapable d’écrire le moindre « pantoum », une autre de ses trouvailles. Je m’entends encore le lui dire avec beaucoup de respect et d’admiration. C’est dans ce local aussi - le samedi si je me souviens bien - qu’eurent lieu les premières rencontres interclubs un an plus tard dans une division 2 où le Sablier n’allait pas s’attarder.
1974-75 : l’apprentissage et un premier déplacement à Verviers où l’Alliance française organisait un tournoi régional, ma première vraie victoire et coupe, une pile de livres et la première rencontre avec Georges Lavigne qui allait nous rejoindre au Sablier quelques mois plus tard. Sur le podium de ce premier tournoi, Georges, Jean-Marie et moi, l’histoire du Sablier et des Scrabbleurs liégeois était en marche.
1975-76 : les interclubs en division 2 et la montée après une première saison que le Sablier termine invaincu. Pas mal pour un début !
1976-77 : une première saison encourageante en division 1.
1977-78 : le titre de Champion de Belgique interclubs pour le Sablier, le seul à ce jour, mais seulement pour quelques mois encore. Enfin ! De ce titre et de ceux qui l’ont conquis, il en sera question dans les anachroniques de mai et juin. Pour qu’elles coïncident avec celui que nous attendons tous, le titre du quarantième anniversaire !
Une petite remarque : dans la première anachronique, il fallait bien sûr lire la cat. 3A au lieu de C pour mon reclassement. De vieilles habitudes subsistent !
De la rue Xhavée à la rue de Heusy en passant par …
Ceux qui connaissent un peu Verviers savent que ces deux rues du centre de la ville ne sont distantes que de quelques centaines de mètres, mais que de chemin avons-nous parcouru, Georges Lavigne et moi en quelques années pour parcourir cette distance… Par quels endroits improbables sommes-nous passés…
Mais avant de commencer, il me faut évoquer ici un hasard incroyable et vous dire que si le lieu où j’écris aujourd’hui ces lignes ne fait pas débat, il fut pourtant le lieu d’ébats, car, par le plus extraordinaire des concours de circonstances, mon bureau fut la chambre à coucher de Georges. En effet, celui-ci occupa, bien avant que je l’achète, un étage de la maison que j’habite aujourd’hui. Nous avons découvert cette coïncidence bien plus tard.
Mais revenons au centre de Verviers. La rue Xhavée a vu notre première rencontre lors d’un tournoi déjà évoqué précédemment, tournoi organisé au printemps de 1975. Jean-Marie David, Etienne Hansenne, Guillaume Hendrick, Georges Lavigne et moi étions présents sans savoir que nous formions là la base de l’équipe qui allait être championne de Belgique à peine trois ans plus tard. Il ne manquait que Jean-Pierre Leist et les sourires féminins de Francine Lips devenue Hansenne et Bernadette Delvaux.
Beaucoup plus tard, au début de ce siècle, nous nous rencontrions parfois, Georges et moi, le samedi rue de Heusy, au hasard d’une visite à la Boutique du livre ou chez Annette qui tenait le tiercé, aujourd’hui démoli, de la rue. Georges, c’étaient les chevaux, moi le foot. Il me parlait d’un « oedématié » joué dans un tournoi récent, il me demandait parfois quand je rejouerais au Scrabble. Mais sans doute savait-il, lui aussi avant moi, que j’y reviendrais un jour…
Il y a eu bien sûr les amicales, les tournois, les championnats, mais aussi ces fameux endroits improbables comme les studios de la RTBF (j’en reparlerai lorsque j’évoquerai Eric), le casino de Vichy, les Olivettes à Liège, le parc d’attractions Phantasialand à Brühl avec toute la famille (la sienne), un mariage à Heusy (le mien), le club Med en… Normandie, des nuits à Wegnez où il m’accueillait au retour d’un interclubs à Bruxelles ou à La Louvière et qu’il était vraiment trop tard pour rentrer à Burg-Reuland (c’est toujours dans la province de Liège, mais à 70 bornes quand même de Verviers). Chez Georges et Alice, lorsqu’il y en avait pour six, il y en avait pour sept et puis quand on venait de battre Yvon Duval et ses loups chez eux par plus de 30 points d’écart, on ne se sentait même pas fatigués… Georges, Alice, Eric et moi, c’était bien sûr le Scrabble, mais c’était bien plus que cela…
Georges vivait pour le Scrabble et par le Scrabble. Pour son Scrabble, mais aussi pour le Scrabble, pour aider, former, encourager les nouveaux venus dans tellement de clubs de la province. Patrick Navette me l’a rappelé il y a bientôt un an lorsque j’ai remis les pieds au Sablier pour la première fois. C’est aussi Georges qui a décomplexé les Scrabbleurs liégeois et verviétois en nous persuadant que nous étions capables de rivaliser avec les meilleurs Bruxellois et Hennuyers, voire même de les battre. Et il a eu raison !
Georges et moi étions totalement différents mais finalement très complémentaires. L’eau et le feu. La gauche et la droite. Non, on ne parle pas ici de politique. La gauche et la droite, cela veut simplement dire que Georges jouait toujours à droite, because la cigarette du 7° et du 14° coup qui ainsi ne m’incommodait pas. Pas aussi différents cependant que la paire pour le moins surprenante formée par Jean-Marie David et Guy De Bruyne au CM de Bruxelles en 1978. Guy grande gueule un peu bourrue, jeans, chevelu et barbu à l’époque avec Jean-Marie, la réserve et la discrétion faites homme, toujours en costume et cravate. Ils furent vice-champions du monde, seulement devancés par Marc Sélis et Jean-Louis Luyten !
Georges joue maintenant dans les amicales et les interclubs des Hyades juste derrière moi en la personne d’Isabelle Baraté qui est devenue au fil du temps une des meilleures Scrabbleuses de la région et même d’un peu plus loin. Et coïncidence, au classement des amicales des Hyades, c’est d’elle que je suis le plus proche, loin de Christian Labye, Stéphane Romus et Jean-Louis Baiwir qui sont trop forts pour moi, et dont j’admire la facilité à découvrir les tops les plus difficiles, mais quelques % au-dessus des autres.
Rivaux nous étions dans les amicales du Sablier et plus souvent du Phénix, dans les grands tournois et championnats individuels où il est rapidement devenu meilleur que moi, équipiers parfaits, enfin presque, en interclubs où je suis resté le meilleur et en doubles où nous avons été parmi les meilleurs. De 1975 à 1980, lorsqu’on voyait un de nous deux dans une amicale ou une compétition de Scrabble, l’autre, en général, n’était pas très loin.
Lui, c’était le Scrabble à 101%, moi disons à 49%, ce qui nous a quand même permis d’être la première paire belge à réaliser un 100% dans une manche d’un tournoi officiel. A Dison où nous jouions presque dans notre jardin. Jusque là, seul Yvon Duval avait réalisé un 100% dans une partie officielle, mais en simple, performance aujourd’hui devenue presque banale, mais considérée comme exceptionnelle à l’époque. Nous sommes donc devenus chacun Monsieur 100% n° 2 et 3. Avec à la clé une belle photo de notre duo à l’œuvre dans un championnat de Belgique, photo dédicacée par Hippolyte Wouters himself. Jamais couronnés dans les Championnats de Belgique, nous avons davantage brillé lors des Championnats du Monde avec 4 top 7 consécutifs entre 1977 et 1980 et un titre purement honorifique de meilleure paire belge en Championnat du Monde de la première décennie de l’histoire du Scrabble.
Equipiers presque parfaits en doubles disais-je… Très imparfaits à Vichy en 1978, parfaits 17 mois plus tard en 1979 au même endroit. Vichy, c’est une histoire qui a plutôt mal commencé, qui a failli très mal se terminer, mais entre les deux, il y eut des voyages mouvementés. des coups et des parties mémorables. Et surtout un titre mondial. Le premier de l’histoire du Sablier. Cette histoire-là, je vous la raconterai dans l’anachronique d’avril. Qui sera un peu plus longue que celle-ci.
Veni vidi… Vichy… Oui, je sais, c’est facile…
Merci à Scrabblerama de m’avoir aidé à retrouver… des chiffres et des lettres.
Pentecôte 1978. Deux semaines après une rencontre à Nancy entre une sélection des meilleurs Scrabbleurs liégeois et une autre des meilleurs Scrabbleurs lorrains, Georges me convainc de l’accompagner à Vichy pour le festival. L’épreuve de doubles sera en outre le championnat de France ouvert aux étrangers, une occasion peut-être de confirmer et d’améliorer le résultat du championnat du monde à Aix-les-Bains en 1977 et d’obtenir cette fois un podium
Le voyage sera un peu long… pour la voiture de Georges qui rendra l’âme à Moulins à quelques encablures de Vichy. Cela commence bien ! C’est donc en train que nous débarquons sur les bords de l’Allier qui est comme chacun le sait l’eau de Vichy. L’élite française de l’époque est présente, le champion du monde et tenant du titre à Vichy Jean-Marc Bellot, les Benjamin Hannuna, Michel Pialat, Claude Del qui l’emportera et tous les autres. Peu de Belges par contre cette année-là à Vichy. Au détour d’une rue cependant, Hippolyte Wouters en jeune et charmante compagnie (Hippolyte ne m’en voudra pas, il y a prescription depuis très longtemps). Georges me demande : « Tu la connais ? ». Moi : « Non, mais je peux te dire qu’elle n’est pas ici pour ses qualités de Scrabbleuse ! ». Les résultats du festival ne me donneront pas tort. Dans l’épreuve en simple, Georges termine 3° et moi 4°. En doubles, l’éliminatoire franchie, la finale en une seule manche se passe bien jusqu’au 16° coup (« allusive » a fait beaucoup de dégâts et nous sommes à - 4 ). Au 17° coup, notre « duo exemplaire » cafouille, je ne crois pas à un « sicle » de 28 points que je ne communique pas à Georges qui rentre finalement une solution nulle. Nous terminerons 6° à - 32 avec le sentiment d’être passés tout près de notre premier titre. Nous ne savons pas encore que dans la même salle, 17 mois plus tard, nous deviendrons champions du monde…
Georges doit récupérer sa voiture le lendemain, moi, je dois rentrer le plus rapidement possible en Belgique pour le boulot, dans une semaine, le Sablier joue la rencontre décisive pour le titre interclubs à Bruxelles, je suis malade, mais je ne le sais pas encore. Avec un président médecin qui consulte même par téléphone, tout devrait peut-être finir par s’arranger…
Toussaint 1979. Georges me convainc que nous pouvons faire mieux qu’au championnat du monde à Bruxelles en 1978 et… qu’à Vichy la même année et décrocher enfin ce podium dans un grand championnat après lequel nous courons depuis nos débuts. Pourquoi pas ?
Les Scrabbles « corroies » et « bénévole » ainsi qu’un « hyoïde » à 52 points seront les coups sélectifs de la manche éliminatoire d’un championnat de doubles qui se déroule, pour la toute première fois, en deux minutes. Pas évident de gérer ce timing inédit, mais nous nous en sortons parfaitement à -2. Mieux que Jacques Mesrine, l’ennemi public numéro un et l’homme le plus recherché de France qui est abattu ce jour-là par la police en plein Paris, une nouvelle qui perturbe à peine notre microcosme. La finale se jouera le lendemain en deux manches. 5 Scrabbles dans la première terminée à -7 ; « tulliers » est le Scrabble le plus sélectif. Nous sommes 3°, tout est désormais possible. Roland Nino et Thierry Dellac ont topé, Vincent Labbé et Serge Kourotchkine sont à -2. Dans la 2° manche, 3 Scrabbles seulement, mais on est dans la moyenne de l’époque où le Q et le W étaient parfois des boulets que l’on traînait longtemps avec lassitude ou avec délectation selon la position occupée dans le classement ; « dressée » est évidemment pour tout le monde, mais « drumlins » et « obvienne » achèvent, avec « toquade » à 62, « poljés » à 30 et « golmote » à 20 de faire la sélection. Quatre équipes restent en lice pour le podium, les trois précitées plus Michel Bohé et Charles Colonna avec qui nous remportons la 2° manche ex æquo à -5. Suspense total à la fin, Duplitop reste à inventer et le GSM pour prévenir la famille aussi. Mais la prévenir de quoi ? Après quelques minutes de vérifications fiévreuses, de conciliabules avec les équipes voisines et les arbitres, nous avons la réponse, Georges et moi tombons dans les bras l’un de l’autre. De nombreux joueurs belges viennent nous féliciter. Le petit brin de chance était cette fois avec nous. Nous l’emportons à -12. Colonna-Bohé sont à -13, Nino-Dellac à -14 et Labbé-Kourotchkine à -15. Les favoris logiques, les géants (dans tous les sens du terme) Hannuna-Pialat terminent 6° à - 49. Dans le top 10, huit paires françaises. Seuls autres Belges, les frères Mues, 7° à - 70 nous accompagnent dans ce top 10. Nous l’avons fait ! En deux minutes par coup sans y être préparés et avec les moyens d’entraînement et d’étude empiriques de l’époque, 99,27 % et même 99,46 % avec la manche éliminatoire, cela demeure très bien. Je dirais que si les champions actuels ont atteint le sommet de l’Everest, nous étions, nous à l’époque, au sommet du Mont Blanc. Reste à achever le championnat élites où Georges doit assurer sa place dans les dix premiers, il terminera finalement 9° ; quant à moi, victime dans la 3° manche (il y en a 5) d’un « octaviée » qu’on ne féminisait pas à l’époque, je louperai dès lors le top 20 (27°), mais je jouerai les deux dernières manches les plus décontractées et les plus heureuses de mes quatre championnats du monde. Plus cool que dans n’importe quelle amicale. Viennent ensuite la cérémonie de remise des coupes et le retour en Belgique. Benjamin Hannuna remporte le premier de ses deux titres mondiaux devant Vincent Labbé et Thierry Dellac, Yvon Duval, le tenant du titre est 6°, mais très malheureux et d’un fair-play exceptionnel sur un coup, il aurait mérité un nouveau podium. Le premier championnat du monde espoirs voit le couronnement d’Eric. Eric, je lui consacrerai une anachronique cet automne. Eric, c’est bien sûr Eric Lavigne. Nous rentrons donc en Belgique avec deux titres - les deux premiers de l’histoire du Sablier, il y en aura quelques autres - et trois coupes de Champions du Monde. Mais le plus dangereux reste à venir…
Le voyage du retour est organisé pour les Scrabbleurs français et belges. Nous remontons en train sur Paris, je suis en compagnie d’Yves Brenez et… de ma coupe qui est trop grande pour entrer dans mes bagages. Ensuite, c’est un car qui doit nous ramener à Bruxelles. Dans la nuit, sur l’autoroute du Nord, le temps est épouvantable et c’est sous le déluge que nous roulons lorsque soudain… Nous sommes à l’arrière du car, Georges, moi et quelques autres, nous ressentons un léger changement de trajectoire imprévu, Georges – qui, à ses heures perdues de Scrabbleur, est quand même policier, rappelons-le - comprend en une fraction de seconde que le chauffeur est sur le point de s’assoupir, il bondit à l’avant du car et il ne quittera plus le siège à côté du chauffeur jusque Bruxelles pour lui faire la conversation. Nous n’avons jamais su si Georges lui avait raconté ses exploits passés et à venir, mais la suite du retour sur Bruxelles se déroulera bien. Georges récupère sa voiture garée dans une petite rue de notre capitale et nous rentrons à Liège où j’habite encore pour quelques semaines. A peine le temps de bavarder un peu avec des parents heureux, un bain, un solide petit déjeuner et en route pour Houffalize, quelques dizaines de petites têtes blondes m’attendent et vont m’aider à ne pas m’endormir avant la fin de la journée. La nouvelle du titre est arrivée jusqu’à ma petite ville d’adoption dans les Ardennes, où je fonderai deux ans plus tard avec le regretté René Goffinet le Scrabbliola, la radio la veille paraît-il, quelques petits articles dans les journaux m’ont précédé. Des félicitations, je suis sur un petit nuage qui sert d’oreiller. Et le soir, le hasard du calendrier scolaire me convie à ce que l’on appelle improprement une réunion de parents et qui est donc plutôt le moment où nous les profs tentons d’expliquer aux parents que leurs enfants ont encore beaucoup de progrès à réaliser pour être d’aussi brillants élèves qu’Eric Lavigne… Je n’ai plus vu une chambre à coucher depuis celle que je partageais à Vichy avec Jean-Marie David. Lorsqu’après la réunion, je regagnerai mon appart, c’est à Morphée que je susurrerai les plus douces anagrammes d’un répertoire qui à l’époque était encore relativement mince. Et le lendemain, mes deux réveille-matin (j’ai un jour gagné un joli défi orthographique avec ce mot et quelques autres) ne suffiront pas à me tirer du lit et pour la seule fois dans ma longue carrière dans l’Education nationale puis communautaire, j’arriverai au travail en retard pour ce motif. Le directeur, José Lutgen, futur bourgmestre de la localité et cousin éloigné du Benoît que nous connaissons aujourd’hui ne m’en a jamais voulu, je venais de faire pour son école la plus belle des pubs dans une région où, plus encore qu’ailleurs, il était difficile de convaincre les parents de mettre leurs enfants dans l’enseignement officiel. Il m’octroyait d’ailleurs de temps à autre un bon de sortie pour participer à un jeu télévisé, à charge pour moi en échange de dire à l’antenne, lors de la présentation des candidats, dans quelle école j’exerçais ma profession. Une fois, mon inspecteur s’est présenté à l’improviste à l’école alors que j’étais à Paris pour l’enregistrement du Dernier mot. Un de mes collègues lui a dit avec un certain humour que, s’il désirait me voir, il n’avait qu’à regarder la télévision…
Je ne suis jamais retourné à Vichy, mais cette ville au charme un peu suranné, comme toutes les villes thermales du XIX° siècle, occupe pour toujours une place à part dans ma mémoire et peut-être même dans mon cœur.
Danse avec les loups.
Merci à Hughes, René et d’autres certainement sans qui ce qui suit n’aurait pu être « chiffré » aussi précisément. De cette saison mémorable, je n’avais conservé que des souvenirs impressionnistes, mais bien sûr pas les résultats précis qui émaillent mon récit.
La première saison du Sablier en division 1 (1976-1977) a vu l’Ouest de Marc Selis et Jean-Louis Luyten remporter le titre et on aurait pu l’appeler, pour rester dans le domaine du cinéma « Il était une fois dans l’Ouest ». Le Sablier après des débuts un peu difficiles, quatre défaites, a bien terminé la saison en remportant quatre de ses cinq derniers matches et a décroché une 7° place méritoire. Il n’a jamais été menacé par un retour en division 2, mais il n’a pas non plus pu inquiéter les meilleurs. Appelé sous les drapeaux et séjournant dans une lointaine garnison allemande à une époque où la guerre était encore froide, j’ai cependant pu jouer 7 des 9 rencontres grâce à notre gentille secrétaire Marie-Rose L’Hoir qui rédigeait de jolies convocations que je mettais sous le nez du gradé qui octroyait les perms. Cela a marché le plus souvent et cela m’a permis d’ouvrir mon compteur de victoires en division 1 en étant en tête lors de 3 des 4 victoires du Sablier, laissant à Georges le soin de remporter la dernière rencontre de la saison aux Salanganes d’Armand Hoper. L’équipe fluctue au fil de la saison, mais les bases de l’équipe qui sera championne la saison suivante est déjà présente. La saison se termine aussi par un championnat de Belgique série A révélateur de nos progrès puisque Jean-Marie est vice-champion de Belgique et que je termine 4° de ce championnat. Le résultat d’ensemble pour les grains de sable sera encore bien meilleur un an plus tard.
A l’aube de la saison 1977-1978, un départ important, celui de Pierre Lempereur qui retourne à Bruxelles. Celui-ci a en effet joué au Sablier durant notre première saison en division 1. Mais que faisait donc Pierre Lempereur à Liège cette année-là ? Si quelqu’un s’en souvient ou a entendu parler de cette histoire, qu’il me le dise par exemple avec sa réponse pour le mot-mystère, je vous le révélerai dans ma prochaine anachronique. A la santé de Pierre (ceci n’est pas innocent) qui deviendra plus tard mon rédac chef.
Le Sablier entame donc la saison 1977-1978 avec un huit de base immuable, sauf cas de force majeure qui ne se produira qu’une seule fois. La moyenne d’âge de l’équipe tourne autour des 35 ans, seuls Guillaume et Jean-Marie sont des quadras et je suis à 24 ans le benjamin de l’équipe. La fusée est composée de trois étages. Le premier est composé de Francine Hansenne et Jean-Pierre Leist qui devront sauver quelques points dans les matches difficiles et viser la mi-classement dans les rencontres plus faciles, ce qu’ils réussiront à faire plusieurs fois. Francine et Etienne Hansenne qui se sont rencontrés au Sablier sont « Les mariés de l’an 2 » de l’histoire du club. Ils feront l’objet d’une anachronique cet automne. Dans le deuxième, on trouve justement Etienne Hansenne, Guillaume Hendrick et Bernadette Delvaux. Ces trois-ci, dans un bon jour, peuvent battre n’importe qui et deux d’entre eux ne vont pas tarder à le prouver, ce dès le premier match. Etienne est un très bon joueur depuis les premiers balbutiements du Scrabble en Belgique, il est aussi, chose que beaucoup ignorent sans doute, un champion d’haltérophilie surnommé à l’époque « le petit Reding *», Guillaume est, comme Etienne et Jean-Marie, un cruciverbiste très talentueux et joue au Scrabble coolment, comme dirait aujourd’hui quelqu’un que nous connaissons tous. Coolment mais de mieux en mieux. Bernadette est pour moi qui n’ai cependant pas connu 25 ans de l’histoire du Sablier la deuxième meilleure joueuse de l’histoire du club après Françoise bien sûr. J’ai d’ailleurs joué avec elle un championnat de Belgique en doubles, je n’arrive pas à me rappeler ce que pouvait bien faire Georges ce jour-là. Peut-être travaillait-il après tout… Enfin le troisième étage nous verra Jean-Marie, Georges et moi dans l’obligation de monter sur le podium le plus souvent possible et d’être en tout cas dans le top 5 à chaque fois si nous voulons être champions. Mais à ce stade personne à Liège n’envisage pareille éventualité. L’Ouest est le favori logique à sa propre succession et il devrait lutter pour le titre avec la Louve d’Yvon Duval, Guy De Bruyne et Jean-Claude Bosse et avec le MJA de Maurice-André Van Gysel, Jacques Crame et Patrick Spaeter. Nous reparlerons dans une autre anachronique de Patrick Spaeter et du jeu Zigzag qu’il anime à la RTB pas encore F. Si le Sablier fait une bonne saison, il peut rivaliser avec le Lexigame d’André Van Buggenhout, Luc Sorel et Nadine Wantens et le Waterloo de Cécile Corbisier, Marion Gueben et du regretté Hubert Rommens pour la quatrième place. Si un des deux René (Fonck ou Gotfryd) ou Françoise était arrivé au club un peu plus tôt, sûr qu’on aurait été parmi les favoris du championnat.
Nous allons être fixés très vite sur nos vraies possibilités puisque le premier tour nous envoie au MJA. Pour moi qui travaille à Burg-Reuland, chaque déplacement à Bruxelles ou à La Louvière signifiera 400 kilomètres aller et retour et une étape chez Georges sera souvent la bienvenue. Déplacement redoutable donc au MJA et qui sera le premier tournant de la saison, celui qui nous fait prendre conscience que le Sablier peut viser non pas encore le titre, mais en tout cas un podium. Bernadette, Guillaume et moi emportons la partie ex æquo, ce qui est inédit à l’époque, Jean-Marie et Georges suivent à quelques points et le Sablier l’emporte 57,5-78,5. En partant, nous aurions presque signé pour le résultat inverse. Un quintuplé chez un des candidats au titre, c’est un exploit que nous allons réaliser deux fois et ces deux victoires plantureuses seront déterminantes dans le décompte final.
Les deux rencontres suivantes auront lieu à Liège et nous permettront de voir si ce premier résultat relève de l’exploit sans lendemain ou est le début d’une grande saison. Waterloo et le Lexigame sont d’excellents adversaires contre lesquels le Sablier a subi de lourdes défaites la saison précédente. Nous remportons la rencontre face à Waterloo par le plus petit écart et grâce à l’infériorité numérique de notre adversaire. C’est donc 68-67 dans une partie remportée par Marion Gueben devant moi. Etienne est 4°, Guillaume 7°, le « deuxième étage » de la fusée Sablier nous a sauvés d’une première défaite. Au classement général emmené par la Louve et l’Ouest, nous glissons de la 3° à la 4° place. Voilà donc un début de saison auquel ressemblera furieusement celui de 2013-2014 avec, très tôt dans la saison, une victoire très nette chez un concurrent direct suivie d’une victoire difficile contre Waterloo.
Place au Lexigame de mon ami André Van Buggenhout, un grand Monsieur que je suis fier d’avoir connu, un excellent Scrabbleur d’une culture et d’une simplicité exceptionnelles. Son absence ce soir-là nous sera profitable et nous l’emporterons 71-65. Je gagne la partie devant Georges, Bernadette est 6°, Jean-Marie et Guillaume ex æquo 8°. Voilà donc un début de saison plus qu’encourageant, trois victoires contre trois des meilleures équipes, mais qui ne laisse cependant pas encore augurer une suite aussi exceptionnelle. Au classement général, nous demeurons à la 4° place, mais les écarts se sont creusés. La Louve est toujours en tête ; l’Ouest est à 16 points, le MJA à 23 points et le Sablier à 32,5 points.
Nous sommes à la veille d’un déplacement dans l’antre de l’ogre de la saison 1977-1978, un ogre emmené par le champion de Belgique Yvon Duval, un champion de Belgique qui perdra son titre en juin au profit de notre président-fondateur Jean-Marie David, mais qui prendra une éclatante revanche quelques mois plus tard en devenant champion du monde à Bruxelles. Ce déplacement mémorable dans l’histoire du Sablier, je vous le raconterai dans l’anachronique de juin.
* Serge Reding fut vice-champion olympique et est le meilleur haltérophile belge de tous les temps.
Danse avec les loups (suite).
Oui, là, nous allons vraiment danser avec les loups puisque le tour 4, je vous l’ai dit le mois passé, nous conduit à La Louvière pour affronter le leader du championnat, nous sommes 4° et nous espérons une défaite pas trop cuisante, peut-être même honorable. Seul sans doute, comme à son habitude, Georges, l’éternel optimiste et briseur de complexes d’infériorité, doit-il avoir prévu une victoire du Sablier. Par 2 ou 3 points d’écart peut-être… Bien sûr, je ne connais pas toute l’histoire du Sablier, loin s’en faut, mais la victoire que nous allons remporter ce soir-là est à ranger parmi les trois plus belles jamais remportées en interclubs par le Sablier en quarante ans d’existence. Avec la victoire à Braine en ce début de saison et une troisième que je vous laisse le soin de retrouver dans vos propres souvenirs. Parmi les trois plus belles, si l’on considère que la Louve était un leader qui semblait intouchable, qu’elle comptait en ses rangs le n° 1 mondial, que l’ampleur de la victoire allait être exceptionnelle et que c’est cette victoire qui allait permettre quelques mois plus tard au Sablier de remporter son premier titre de champion de Belgique.
Nous abordons ce déplacement en devant, pour la seule fois de toute la saison, pourvoir au remplacement d’un membre de notre huit. Jean-Pierre ne peut nous accompagner et c’est Josée Fauconnier qui prendra sa place. La gentille Josée qui rêvait de vivre cent ans et qui m’offrait une bouteille de vin pour que je vienne animer un de ses petits tournois à la Chesnaye. La Chesnaye, un de ces nombreux petits clubs qui ont fleuri dans la région liégeoise au cours de ces années. Qui se souvient par exemple de l’éphémère Bastion à Robermont présidé par Daniel Porta à deux pas de chez moi et qui dut se rendre, faute de combattants, après quelques mois d’existence ? Josée remplira sa mission en laissant un loup derrière elle et en apportant 2 points au Sablier, tous les points, on le verra, seront précieux cette saison-là. Josée est donc le 9° grain de sable à avoir été championne de Belgique interclubs avec le Sablier avant ceux de cette saison (9 aussi, je pense).
Pas plus que des autres parties, je n’ai conservé le souvenir précis de celle-là, mais je n’ai jamais oublié que nous l’avons remportée par plus de 30 points d’écart. Les cinq premières places pour le Sablier ! Oufti (à quand une pétition de tous les Scrabbleurs liégeois pour appuyer l’entrée de ce mot dans le prochain ODS ?)! Je gagne la partie, Georges me suit, je vous avais dit que nous étions presque inséparables, Etienne est 3°, Jean-Marie 4° et Guillaume 5°. Puis trois loups dont Yvon Duval 8°, 4 points seulement devant Francine 9° ; Bernadette complète le triomphe du Sablier avec une 12° place. Si vous y ajoutez la 15° place de Josée, cela donne donc un incroyable 51-85 pour le Sablier. Après la partie, nous nous retrouvons dans un café de La Louvière à refaire le monde… du Scrabble avec Yvon Duval, une fois encore aussi grand dans la défaite que dans la victoire et quelques autres.
Le retour est euphorique et la nuit chez Georges à Wegnez sera courte. Les yeux d’Eric qui fera déjà partie de l’équipe A du Sablier quelques mois plus tard et qui aurait dû être au lit depuis longtemps brillent au récit de cette victoire incroyable. Nous faisons et refaisons les comptes, oui, le Sablier, pour la première fois de son histoire, prend la tête de la première division ex æquo avec l’Ouest qui ne gagne que d’un seul point au Sachez Croiser. La Louve est désormais 3° à 1,5 point, le MJA à 15 points n’a pas encore dit son dernier mot. Le championnat recommence pratiquement à zéro, mais le Sablier a désormais un calendrier très favorable puisque nous avons déjà rencontré (et battu !) quatre ténors. Seule parmi les rencontres qui restent, celle à l’Ouest semble-t-elle difficile.
Le tour 5 doit nous être particulièrement propice puisque nous recevons le Scrabblebleu, futur descendant avec La Louve B, tandis que La Louve A reçoit l’Ouest. Ces deux-là devraient tirer les marrons du feu en faveur du Sablier. Et en effet l’Ouest, tenant du titre, subit sa première défaite (71,5 - 64,5) dans l’affrontement entre les deux meilleurs Scrabbleurs belges de la première décennie, Marc Sélis et Yvon Duval. Ce résultat, outre qu’il rehausse encore la performance du Sablier à La Louvière, fait parfaitement nos affaires, puisque nous l’emportons contre le Scrabblebleu 89 à 47. Je remporte la partie devant Bernadette, Georges et Guillaume terminent 3° ex æquo, nous nous tenons tous les quatre en moins de 10 points. Etienne 7°, Jean-Pierre 8° et Francine 10° complètent la large victoire du Sablier. Pour une fois, le dernier grain de sable est Jean-Marie 12°. Le Sablier prend donc pour la première fois seul le leadership avec 19 points d’avance sur La Louve et 24,5 sur l’Ouest. Le MJA surpris au Malou est largué et la lutte pour le titre se circonscrira au Sablier, à La Louve et à l’Ouest. Et le chassé-croisé avec la Louve va continuer jusqu’au dernier match programmé pour le Sablier… au Sachez Croiser.
Le tour 6 est pour le Sablier le dernier gros écueil sur la route du titre, il nous conduit chez le champion, l’Ouest qui joue là sa dernière carte dans une fin de championnat où Sélis et consorts rencontrent successivement tous les ténors. Cette carte, l’Ouest va la jouer parfaitement en nous infligeant notre première (et sévère) défaite 77 à 59. Pour la seule fois de la saison, je descends du podium d’un interclubs en terminant 5° d’une partie remportée par Marc Sélis devant Jean-Marie, un Jean Reifenberg que notre président a devancé il y a quelques semaines dans le championnat de Belgique de 3° série et Jean-Louis Luyten. Etienne termine 6°, Jean-Pierre et Bernadette 10° et 11°. Pour une fois, Georges et Guillaume ne terminent que 13° et 14°, Francine ferme la marche. Pendant ce temps, la Louve l’emporte très largement au Malou (49 - 87). Tout est donc à refaire, puisque la Louve reprend la tête avec 9 points d’avance sur le Sablier et 15,5 sur l’Ouest. Pour l’Ouest, cette victoire sera cependant un chant du cygne puisqu’il va perdre ses deux rencontres suivantes à Waterloo, puis contre le MJA. Une victoire en quatre rencontres pour l’Ouest, mais il fallait que ce soit contre le Sablier…
Pour une raison que j’ai oubliée, le Sablier jouera le tour 7 une semaine après le tour 8. Il est donc impossible d’établir un quelconque classement à l’issue du tour 7. Ces deux rencontres nous voient affronter deux équipes largement à notre portée, le Malou, antépénultième, le 21 avril et la Louve B, dernière, le 28 avril. Pendant ce temps, La Louve A rencontre le Sachez Croiser puis le Scrabblebleu. La Louve remporte une belle victoire contre l’équipe des frères Mues 77-59, mais au Scrabblebleu, déjà condamné à la descente, elle doit se contenter d’un trop modeste 57-79.
L’occasion pour le Sablier de reprendre (définitivement ?) la tête du championnat. Contre le Malou d’Hippolyte Wouters, nous l’emportons 76 - 60. Je remporte mon cinquième et dernier interclubs de la saison devant Georges et Bernadette ; Jean-Marie est 7°, Etienne 9°. Un résultat satisfaisant, mais sans plus. Une particularité dans cette rencontre… Après le premier coup, j’ai un nombre impair de points, situation parfaitement impossible aujourd’hui. Un solo (manses pour 18 points) est à cette époque récompensé par un bonus de 15 points. J’ai donc gagné la partie au premier coup, puisqu’à l’arrivée, Georges terminera à 2 points seulement.
Une semaine plus tard, nous accueillons donc La Louve B qui a pour mission de limiter les dégâts pour aider sa grande sœur à conserver le leadership du championnat. Elle n’y parviendra pas ! Nous allons frôler le score parfait en prenant les 6 premières places. Jean-Marie l’emporte en surclassement (ce sera sa seule victoire de la saison), devant Georges décidément abonné cette saison-là à la 2° place, je termine 3°, Guillaume 4°, Etienne 5° et Bernadette 6°. Jean-Pierre 9° et Francine 10° complètent le triomphe du Sablier (96 - 40) à qui les rencontres contre les Loups réussissent décidément bien. En 2 tours, nous reprenons donc 16 points à La Louve A et repassons en tête avec 7 petits points d’avance avant la dernière rencontre qui sera épique avec le meilleur grain de sable de la saison malade, Jean-Marie qui le déclare guéri par téléphone, une défaite inattendue au Sachez Croiser, un arbitrage… parfaitement impartial du dernier match de La Louve au MJA par… le Sablier représenté par Georges et moi et une virée mémorable pour fêter le titre, une virée… arbitrée par le meilleur arbitre belge de foot de l’époque.
Et cette équation à une inconnue qui explique la présence de cet arbitre dans la nuit liégeoise en même temps que nous :
1978 Le Sablier est champion x
2014 Le Sablier est champion la Coupe du monde a lieu au Brésil
Le chassé-croisé entre la Louve et le Sablier va donc s’achever au Sachez croiser… Je vous raconterai cet extraordinaire dernier tour dans ma prochaine anachronique. D’ici là, je vous souhaite d’excellentes vacances et plein succès à ceux qui se rendent à Aix-les-Bains qui fut le lieu en 1977 du premier championnat du monde où étaient officiellement sélectionnés 3 grains de sable.
A propos de Pierre Lempereur cité dans l’anachronique précédente, il a, durant quelques mois, été cafetier pas très loin de la gare des Guillemins.
Rion dans la nuit.
Nul n’est bien sûr à l’abri d’une faute d’orthographe, mais le titre ici n’en contient pas…
Je vous ai quittés il y a deux mois à la veille du dernier interclubs de la saison 1977-1978 avec un Sablier qui occupe la première place du classement avec 7 petits points d’avance sur La Louve et un dernier tour qui envoie le Sablier au Sachez croiser des frères Mues tandis que La Louve se déplacera au MJA de Jacques Crame, Patrick Spaeter, Maurice-André Van Gysel, Catherine Fortemps (ces trois derniers constituant le présentateur et le jury de l’émission télévisée Zigzag qui vit défiler tous les scrabbleurs belges de renom de l’époque) et consorts. Tout s’annonce bien pour le Sablier qui est devant et qui affronte un adversaire a priori moins fort que celui des Louviérois. Quelques jours avant le déplacement à Bruxelles, l’optimisme fera place au doute lorsque j’annoncerai à Jean-Marie David que je suis atteint de cette maladie qui est l’anagramme d’ « ébouler » (« bouéler et « roublée » n’étaient alors pas acceptés) et que je ne pourrai donc accompagner l’équipe à Bruxelles. J’ai rapporté 15 points en moyenne et le n° 9 qui me remplacerait ne peut guère espérer en rapporter plus de 2 ou 3. Après de nombreux coups de fil entre Georges, Jean-Marie et moi, Jean-Marie, le plus prudent des hommes et le plus scrupuleux des médecins décide lors d’une ultime « consultation téléphonique » que je dois jouer - c’est vrai que je ne me sens pas vraiment mal - et que pour une fois, le Scrabble passera avant la prophylaxie. C’est peut-être à ce moment précis que le Sablier remporte son premier titre interclubs… La rencontre au Sachez croiser le 22 mai est interminable (26 coups, 3 scrabbles dont un au dernier coup), stressante et voit un Sablier certainement plus nerveux que d’habitude s’incliner finalement 70-66. C’est une (mauvaise) surprise. Paul Mues remporte la partie, je suis 2° maintenant ainsi la moyenne de 15 points / match et terminant meilleur buteur du championnat, Jean-Marie, Georges et Etienne sont 6°, 7° et 8° ; Guillaume, Francine et Bernadette sont 10°, 11° et 12°, Jean-Pierre 14°. Les comptes sont désormais faciles à faire. Si La Louve fait plus de 73 au MJA, elle est championne. Cette saison-là, le MJA a sans doute intrinsèquement les meilleurs joueurs, mais pas la meilleure équipe, tout est donc possible dans cette rencontre qui sera arbitrée par… le Sablier, car, à cette époque, le Sablier est un des seuls clubs de la province, le seul en D1 et doit donc se taper des arbitrages éloignés. Comme je suis toujours en « congé de maladie », j’accompagnerai Georges à Bruxelles pour arbitrer cette rencontre qui a lieu le 25 mai. Jean-Marie sera la centrale téléphonique à qui nous communiquerons le résultat et qui le répercutera auprès des autres joueurs. Les mails, GSM et autres SMS, ce sera pour beaucoup plus tard… Georges est l’arbitre officiel, puisque je ne suis pas censé me balader entre Liège et Bruxelles, mais je l’assisterai dans sa mission et notre neutralité ne sera pas prise en défaut. Pas de souvenir particulier de la partie, pas d’incident non plus, le Scrabble est pratiqué par des gentlemen. La rédaction de la feuille de match est fébrile, Jacques Crame l’emporte devant Yvon Duval, Joseph Vergnani, André Dubois, trois loups, Maurice-André Van Gysel, Patrick Spaeter, Willy Koch, trois Bruxellois, les points se répartissent très équitablement entre les deux équipes et le résultat final donne une courte victoire à La Louve 67-69. Le Sablier conserve 4 petits points d’avance et il est donc CHAMPION DE BELGIQUE moins de quatre ans après sa création et il devra attendre 36 ans avant de décrocher son deuxième titre. Nous prévenons Jean-Marie, la nouvelle se répand parmi les autres membres de l’équipe. Aujourd’hui, Jean-Marie il y a 2 mois, Georges en 2007 et Guillaume en 2000 nous ont quittés, Jean-Pierre vit d’autres aventures en Amérique du Sud, Bernadette, Francine, Etienne et moi espérons être de la fête du quarantième anniversaire pour y féliciter nos successeurs.
La fête justement… Celle de ce premier titre est mémorable, j’ai pu le vérifier auprès de Francine il y a quelques semaines. Un soir de juin, les membres de l’équipe championne à l’exception de Bernadette retenue auprès de sa petite famille se retrouvent comme en pèlerinage à la Taverne sportive où nous avions joué nos premières rencontres amicales et interclubs. Etienne a bien fait les choses en faisant réaliser par un médailliste du passage Lemonnier un petit trophée personnalisé pour chaque joueur, puis, après le repas, nous partons au hasard dans les rues de Liège d’un bar ou d’un café à l’autre pour finir au petit matin chez moi à Grivegnée avec Georges, Alice et Guillaume. Les anagrammes, la localisation des mots caractéristiques dans le Larousse, d’autres jeux, la nuit passe finalement très vite. Des souvenirs devenus flous avec le temps, mais cependant une rencontre étonnante restée gravée dans ma mémoire. Nous devons être rue Saint-Paul, soudain un visage connu de certains d’entre nous… Francis Rion. Qui est-il et que fait-il là, celui avec qui nous allons sympathiser et continuer la fête pendant un bon moment ? Il était l’arbitre belge de foot n° 1 de l’époque et il fêtait son retour de la coupe du monde qui avait eu lieu en Argentine où il était le seul Belge officiellement présent et où il avait sifflé un Italie - Autriche. Quand un groupe de fêtards rencontre un autre fêtard… Le Sablier est donc champion interclubs chaque fois que la coupe du monde de foot se déroule en Amérique du Sud. Aux membres de l’équipe A de faire mentir cette petite sentence dès la saison qui débute…